La justice a eu la peau de l'association Rhino
PHILIPPE CHEVALIER - le Courrier - Paru le Vendredi 17 Février 2006
GenèveSQUAT
Saisi par les propriétaires des immeubles squattés, le Tribunal de première instance a dissous l'association Rhino, estimant que celle-ci poursuit un but illicite.
«L'association Rhino est dissoute!!! (sic)» Les avocats des propriétaires du célèbre bâtiment squatté exultent. Le Tribunal de première instance leur a en effet donné raison en jugeant que l'association formée au lendemain de l'occupation (en 1988) poursuit des buts contraires à la loi. Les juges ont en conséquence prononcé sa dissolution. Rhino a toutefois annoncé qu'il ferait recours à la Cour de justice du canton.
Saisi le 4 avril 2005 par les sociétés propriétaires, le tribunal a examiné à la fois les buts affirmés par l'association, tels qu'ils apparaissent dans les statuts diffusés sur Internet[1], et le «but réel», tel qu'il ressortirait de la pratique de l'association.
La plupart des objectifs affirmés («loger ses membres de façon économique et communautaire», «favoriser le logement associatif», ou rechercher un mode de «gestion économique et écologique») sont «parfaitement louables et dignes d'intérêt», considère le tribunal.
Le paragraphe qui «pose problème», en revanche, est celui figurant en deuxième place dans la liste des statuts énonçant: «L'association s'efforce de soustraire les immeubles qu'elle occupe du marché immobilier et de la spéculation.»
«Lecture très subjective»
Au-delà des déclarations d'intention, le tribunal déduit des actions de l'association pendant ces seize dernières années («y compris les récentes actions ayant réussi à bloquer le chantier de rénovation») que son activité principale, son «but réel», est une «obstruction systématique à l'exercice du droit de propriété».
Avocat des squatters, Marco Ziegler se dit surpris du verdict: «Le tribunal condamne Rhino sur la base d'une lecture très subjective de son activité passée.» L'avocat annonce dès lors qu'il fera appel à la Cour de justice, avec possibilité d'aller jusqu'au Tribunal fédéral, le cas échéant. Au nom de l'association, Maurice Pier surenchérit: «C'est énorme! La juge méconnaît totalement les faits. Il n'a jamais été question de nous approprier les immeubles. Nous avons tenté à maintes reprises de les racheter. C'est le propriétaire qui ne veut pas. Quant à assimiler à de l''obstruction systématique' le fait que nous fassions valoir nos droits démocratiques devant la justice, c'est une accusation à connotation politique.»
A l'inverse, Malek Adjadj, avocat des propriétaires, se félicite que la justice reconnaisse que «Rhino ne poursuit pas un intérêt public mais uniquement l'intérêt propre de ses membres».
Les sous de Rhino pour la collectivité publique
Au cas où la dissolution serait confirmée en fin de procédure, les conséquences pour Rhino seraient doubles. D'une part les occupants des immeubles des boulevards de la Tour et des Philosophes ne seront plus représentés dans leurs démarches que par eux-mêmes. Me Adjadj ajoute que si d'aventure leur initiative passait le cap de la validation (lire ci-dessous), Rhino serait exclu du comité d'initiative.
D'autre part, la fortune de l'association, évaluée à 300000 francs (réserve prise sur les «loyers»), devrait être liquidée. Dans la mesure où les règles de dissolution prévues par les statuts seraient devenues caduques, les avoirs de l'association défunte seraient vraisemblablement saisis et reversés à la collectivité publique, indique MeZiegler.
Dans leur mémoire, les sociétés propriétaires avaient en outre demandé que des mesures provisionnelles soient ordonnées afin de garantir que les fonds de l'association Rhino ne disparaissent pas dans la nature. Le tribunal ne les a pas suivis, considérant que cette question n'était pas de son ressort.
Faible consolation pour Rhino, condamnée à verser en plus une participation de 1500 francs aux frais d'avocats de leurs fossoyeurs. I
Note : [1]
www.rhino.la/documents/statuts.pdf